L’ubérisation en question
Uber, la start’up de service de VTC (Voiture de Tourisme avec Chauffeur), a dernièrement fait parler d’elle avec le mouvement social des taxis qui se sentent menacés par ce nouvel acteur. Cette start’up signe l’avènement d’un bouleversement profond de l’économie induit par l’émergence d’internet, des applications mobiles et des services entre particuliers qui révèle de nouveaux acteurs économiques bouleversant les marchés : c’est l’ubérisation de l’économie. En effet, hormis Uber, on retrouve également Airbnb l’hôtelier sans hôtels, Drivy, le loueur de voitures sans voitures, Alloresto, Blablacar, pour ne citer que ces derniers.
« Ubérisation » est un néologisme qui désigne le fait de mettre en relation, via une application ou un site internet, des travailleurs freelance et des particuliers pour une prestation de services. Les tarifs proposés sont concurrentiels grâce à la désintermédiation, la qualité du service assurée par l’évaluation continue des prestataires en plus de la géolocalisation qui permet une offre individualisée. En somme, ces nouveaux acteurs proposent un avantage certain pour les clients. Cependant ils sont fortement décriés sur le plan social et accusés de créer de la précarité. Cet article tente de décrypter le phénomène.
Une aubaine pour les créateurs de plateformes de mise en relation
• AVANTAGES
Nombreux sont ceux qui souhaitent devenir entrepreneurs mais ne sautent pas le pas principalement à cause de la lourdeur de l’investissement nécessaire. Avec le phénomène de l’ubérisation, ce n’est plus un obstacle dans la mesure où le créateur a peu de frais à engager car les prestataires ne sont pas salariés, l’OPEX* et le CAPEX** (les charges) sont donc très réduits. Le principal investissement réside dans la création de la plateforme, son animation, sa promotion et la relation client (SAV, suivi des évaluations des prestataires…). Par exemple, Creads, une start’up de 40 salariés logés dans des locaux de 200 mètres carrés, concurrence directement les grandes agences de communication telles que Publicis ou Havas avec un principe simple : contrairement à ses mastodontes employant des milliers de salariés, il a constitué un réseau de 50000 travailleurs indépendants, que les annonceurs peuvent mettre en compétition ; seuls les dix meilleurs projets sont rétribués et la moitié des gains revient à la start’up. En effet, dans ce type de structure le profit se fait par le prélèvement d’un pourcentage sur l’ensemble des transactions, ce qui est très lucratif et attire de nombreux investisseurs. Ainsi, Uber pèse 51 milliards (autant que General Motors) et, selon les experts du cabinet Deloitte, cette nouvelle économie devrait peser 100 milliards de dollars d’ici trois ans.
• INCONVENIENTS
Les premiers arrivés sur le marché sont souvent leaders et il peut être difficile de se faire une place. En effet les plateformes les plus connues telles que Uber pour les VTC ou Airbnb pour les locations saisonnières éclipsent toutes les autres plateformes qui sont pléthoriques, sans compter les entreprises classiques qui tentent de limiter leur perte de parts de marchés en développant des services sur le modèle de l’ubérisation. Mr Bricolage a dernièrement lancé Ladepanne.fr, une plateforme de prêt d’outils entre particuliers, quitte à porter atteinte à son business classique. Il est également important de veiller à surveiller les gains des autoentrepreneurs fournisseurs de services car au-delà de 33000 euros annuels, ils peuvent faire valoir une requalification comme salarié.
Des avis partagés pour le salariat
• AVANTAGES
Dans le contexte économique actuel, les entreprises sont de plus en plus réticentes à recruter. Le nouveau modèle économique d’Uber apporte aujourd’hui une alternative concrète et efficace permettant à toute personne (i.e. chômeurs, salariés, retraités…) d’obtenir des compléments de revenus. Un autre avantage majeur de ce modèle est la flexibilité qui est offerte : on travaille quand on veut et quand on peut. C’est aussi la fin de l’isolement des personnes les moins qualifiées, qui peuvent plus facilement exercer une activité.
• INCONVENIENTS
Le modèle n’offre cependant que des contrats précaires ne liant pas les prestataires aux plateformes de services. Le problème de la fiscalité est également présent : l’absence de statut salarial implique qu’il n’y a pas de cotisations sociales pour les revenus ; pour en avoir et ainsi préparer sa retraite il faut se déclarer sous le statut d’auto- entrepreneur. Il est aussi nécessaire de déclarer ses revenus pour ne pas être en infraction (pour rappel dès 2000 euros de revenus annuels les sommes sont à déclarer au FISC). On craint également que sur le long terme le développement de ce type d’activité vienne détruire certains métiers tels que coursiers ou employés administratifs. En effet, les plateformes de services offrent plus de flexibilité aux entreprises et peuvent donc accroître la précarité des personnes peu diplômées. Pour les fonctions cadres dans certains secteurs tels que la publicité ou le droit, l’économie de partage a tendance à tirer vers le bas le coût des activités à forte valeur ajoutée.
L’ubérisation comme expression d’un décalage entre les entreprises et les consommateurs
Il faut relever que le succès de ces plateformes auprès des consommateurs ne s’appuie pas uniquement sur les prix compétitifs qu’elles pratiquent, mais aussi sur une adaptation aux nouveaux usages des consommateurs qui sont plus digitaux et plus adaptés à leurs besoins, notamment avec la géolocalisation. La qualité des services est aussi appréciée : par exemple, le suivi en temps réel des coursiers et des livreurs ou encore le paiement simplifié.
Mais surtout c’est l’efficacité du service client qui est plébiscitée. On peut citer la réponse immédiate, les enquêtes de satisfaction et les évaluations disponibles qui permettent de s’assurer de la qualité de la prestation, la prise en compte des réclamations. Dans le cas d’Uber les clients apprécient la courtoisie des chauffeurs et les services annexes tels que la mise à disposition de bouteilles d’eau ou de chargeurs de téléphones. La clé de réussite de ces plateformes réside donc dans le souci de satisfaction du client. Ce dernier, de plus en plus informé et exigeant, influe fortement sur la notoriété de la plateforme via les processus d’évaluations et de recueil d’avis. Les entreprises classiques, à défaut de pouvoir affronter la guerre des prix pour rivaliser avec ces plateformes, devraient donc offrir une qualité de service supérieure pour se démarquer, sachant que selon une étude de 2013 d’Accenture, 54% des clients insatisfaits du service client auraient changé de prestataire ou de fournisseur. Par exemple le phénomène Uber est moins important en Allemagne qu’en France car les consommateurs sont satisfaits du service proposé par les taxis… Ceci donne matière à réflexion pour les entreprises classiques.
*OPEX : Les dépenses d’exploitation (OPEX) sont les coûts courants pour exploiter un produit, des entreprises, ou un système.
**CAPEX : Les dépenses d’investissement de capital (CAPEX), se réfèrent aux coûts de développement ou de fourniture des pièces non-consommables pour le produit ou le système.
Emilie SIDNEY
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