La violence aux Antilles est-elle une fatalité ?
Les médias locaux et nationaux sont unanimes : jamais nos îles n’ont connu un phénomène de violence aussi important que celui qui sévit depuis quelques mois. Certains médias avancent même des chiffres qui placent la Guadeloupe au premier rang des départements français, au vu des statistiques élevées des faits de délinquance. Nombreux sont ceux qui considèrent que cette vague de violence est à imputer à une jeunesse en perte de repères, dans une société en évolution constante, insinuant souvent qu’il n’y aurait pas de remède possible pour endiguer cette augmentation de la violence. La violence aux Antilles est-elle, pour autant, une fatalité ?
Les mutations de nos sociétés antillaises sont en phase avec les nouvelles caractéristiques que l’on peut attribuer aux sociétés occidentales de manière globale. L’une d’elles est, sans aucun doute, l’importance donnée à la consommation. Nos sociétés cherchent à consommer à tout prix et cela passe aussi par le traitement de l’information. De la même manière que des individus accumulent les biens, les abandonnent et s’en procurent de nouveaux – de façon quasi-cyclique – les médias en font de même avec l’information. Ce qui passionne les foules, c’est l’attrait de la nouveauté, la consommation de cette nouveauté.
N’est-il pas nécessaire de prendre un certain recul critique, quant à cette vision de l’« explosion » de la violence aux Antilles ? Si les formes de la violence ont changé, notamment en raison d’une plus grande circulation des armes à feu, celle-ci n’a pourtant rien d’inédit. L’exemple de la Martinique l’illustre bien. Les émeutes de 1959 sont à la fois un mouvement social mais aussi un déversement de violence significatif. Elles sont explicables à la fois par des crispations politiques vécues par la population (effets de la départementalisation qui se font attendre), mais aussi par un contexte socio-économique particulièrement difficile, semblable à celui que connaissent nos îles actuellement. La fin des années 1950 est marquée par la crise de l’économie sucrière et les fermetures des usines, entraînant fort taux de chômage chez les jeunes ainsi qu’une vague massive d’exode rural vers Fort-de-France. Les jeunes de 1959 comme les jeunes de 2013 sont alors en perte de repères : les perspectives d’avenir sont bouleversées, voire anéanties.
La France hexagonale est alors considérée comme un Eldorado, où les débouchés sont innombrables. Cette conception a été fortement encouragée par l’Etat français, qui a mis en place le Bumidom (Bureau des Migrations des Départements de l’Outre-mer). De 1963 à 1981, le Bumidom a promu et accompagné le départ de milliers de jeunes des Outre-mer vers l’hexagone afin de « régler les problèmes démographiques » de ces territoires (et surtout éviter tout soulèvement social à l’avenir). Cette fuite des forces vives, organisée par le Bumidom à l’époque, est également comparable à la forme particulière d’exode des étudiants et jeunes travailleurs, auquel nous assistons aujourd’hui. Pourtant, les vagues de violence dues à une situation socio-économique délétère ne pourront se résorber si les acteurs capables d’inverser la tendance n’interviennent pas de concert.
La lutte contre la violence aux Antilles, en particulier chez les jeunes, nécessite une restructuration majeure en amont. Un travail d’édification de repères passe notamment, par la promotion d’une génération qui réussit, auprès des générations suivantes. Chercher à briser le cycle d’une perception d’un avenir duquel on ne peut espérer grand-chose est un des enjeux majeurs auxquels les forces vives des sociétés antillaises sont confrontées.
Marie-Noëlle Brunot
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